Qu’est ce qu’une neuroatypie ?

Article issu du blog neuroatypie

Définition

La neuroatypie désigne un fonctionnement neurologique ou psychologique qui s’écarte de la norme.

Ce terme a d’abord été inventé par et pour la communauté autistique pour souligner le caractère profondément différent de leur fonctionnement cognitif.  Il a ensuite servi à désigner toute personne s’écartant du fonctionnement neurologique ou psychologique majoritaire.

On pourrait penser que cela concerne un petit nombre de personne, mais en réalité il s’agirait d’une personne sur 4. En effet, certaines atypies sont relativement courantes. Par exemple, on estime qu’en France qu’ une personne sur 5 souffrira de dépression au cours de sa vie.

Le terme « neuroatypie » recouvre toutefois une grande hétérogénéité de fonctionnements puisqu’il désigne à la fois :

  • Des fonctionnements neurologiques innés comme l’autisme et des troubles psychiques plus transitoires, comme le syndrome de stress post-traumatique.
  • Des personnes qui se considèrent comme malades et qui souhaitent l’accès à des soins. D’autres qui se vivent avant tout comme différentes de la norme et qui souhaitent une reconnaissance de cette différence.
  • Il y a aussi des personnes qui se définissent comme malades, mais qui considèrent la maladie comme une part importante de leur identité.
  • Il y a parmi les neuroatypiques des personnes qui ont des vies en apparence indissociables de M. Tout-le-monde (métiers, vie sociale, couple). Cependant, un tel degré d’intégration est généralement coûteux en efforts.
  • Il y a aussi des personnes qui vivent de l‘exclusion sociale et de la stigmatisation à des degrés divers. Cela va de la personne régulièrement recalée aux entretiens d’embauche et isolée socialement jusqu’à la personne institutionnalisée contre son gré ou SDF.

Représentations sociales des neuroatypies : des réalités très diverses

Quant à la perception et l’inclusion de ces atypies par la société, elle est très variable d’une atypie à l’autre.

Certaines personnes atypiques vont être vues et désignées par une bonne partie de la société comme folles. Le « fou » désigne dans l’imaginaire collectif une personne qui a perdu toute raison, qui peut être dangereuse pour elle-même et pour les autres. En psychologie et psychiatrie, le qualificatif de « psychotique » désigne les personnes dont les pensées et les perceptions s’éloignent fortement de la réalité (hallucinations, délires…).

Certaines personnes atypiques vont être vues avant tout comme fainéantes, lâches, faibles, capricieuses, refusant de se prendre en main… C’est souvent le cas de personnes ayant des troubles anxieux, dépressifs, des difficultés à réguler leurs émotions (trouble borderline, hypersensibilité…) ou leurs impulsions (addictions, compulsions, troubles du comportement alimentaire…).

Certaines personnes atypiques sont considérées comme des monstres froids dénuées d’empathie, manipulatrices et capables des pires calculs. Ce sont en général les personnes ayant un trouble de la personnalité narcissique et un trouble de la personnalité antisociale (sociopathe). Parfois, les personnes borderlines sont également considérées ainsi.

Certaines personnes sont vues par la société selon le prisme du handicap. Ce handicap peut toucher une sphère de la vie/du comportement (par exemple, la dyslexie qui est un trouble de la lecture). Ou bien le handicap est plus important et devient la définition sociale de l’individu (dans le cas de la déficience intellectuelle, de la trisomie…). La vision que la société porte sur le handicap est généralement éloignée du regard que les personnes effectivement handicapées portent sur elles-mêmes.

Certaines neuroatypies sont au contraire perçues de façon favorable par la société. C’est le cas du haut potentiel intellectuel (HPI). Mais il y a là aussi un écart entre les représentations sociales du HPI et la réalité du vécu des personnes qui ont cette atypie.

Ce tour d’horizon permet de comprendre que tous les neuroatypiques ne sont pas perçus pareillement par la société, ne sont pas logés à la même enseigne et n’ont pas les mêmes besoins. Il existe une hiérarchie faite par la société qui considère le degré auquel la personne s’éloigne  du fonctionnement « normal ».

Il faut souligner également que ces perceptions sociales sont mouvantes. Ainsi l’autisme par exemple était considéré (et l’est toujours, par certains psychanalystes) comme une « psychose ». Il est davantage vu aujourd’hui comme un handicap.

La grande majorité des neuroatypiques ont comme plus petit dénominateur commun d’avoir été perçues comme différentes et d’avoir fait face à des réactions de rejet ou d’exclusion. Ou du moins d’avoir du mettre en place une quantité considérable d’efforts et de stratégies pour masquer leur différence.

Neuroatypiques et psychoatypiques

Pour y voir plus clair parmi ces fonctionnements multiples et hétérogènes et parce que le terme de « neuroatypique » était historiquement associé aux luttes pour les droits des autistes,  des personnes psychiatrisées ont créé le concept de « psychoatypique« .

La psychoatypie renverrait à des particularités psychiques acquises (troubles anxieux, dépression, troubles du comportement alimentaires…), qui sont souvent vécues comme de véritables maladies qui font souffrir intrinsèquement. Ces atypies « acquises » seraient les plus dépendantes des évènements de vie comme la négligence/maltraitance parentale, le harcèlement scolaire, l’exclusion sociale, les mauvaises conditions de vie (précarité, racisme…), les abus sexuels… Les psychoatypies seraient « soignables ».

Le neuroatypie concernerait davantage des fonctionnements cognitifs innés fortement influencés par les gènes. Ces fonctionnements peuvent influencer le développement de la personne dans sa personnalité, ses centres d’intérêt, sa façon de réfléchir et voir le monde, sa façon de nouer des relations… Au point que vouloir la « soigner » a peu de sens, d’abord parce que ce n’est souvent pas soignable, ensuite parce que la personne s’est construite avec son atypie et enfin parce que la personne ne se ressent souvent pas comme malade. Parmi les neuroatypies, on met classiquement l’autisme, le HPI, le TDAH, les troubles dys…

Ces catégories sont utiles mais rencontrent elles aussi leurs limites. La schizophrénie par exemple est-elle une neuroatypie ou une psychoatypie ? Elle est fortement influencée par les gènes, elle implique un fonctionnement cognitif distinct et identifiable avec des techniques d’imagerie. Elle est souvent chronique. D’autre part, elle est classée parmi les pathologies psychiatriques et nombreux sont les schizophrènes qui se perçoivent comme malades.

Ces 2 concepts de neuroatypie et psychoatypie ont pour mérite de souligner que les besoins sont très différents d’une atypie à l’autre. Classiquement, le mouvement de la neurodiversité, qui est surtout composé d’autistes, a œuvré pour que l’autisme soit considéré comme une différence et non pas un handicap intrinsèque ou une maladie. D’autres militants atypiques ne rejettent pas le concept de trouble ou de maladie, mais ils contestent plutôt les définitions que l’on donne à ses termes, la moindre valeur et la privation de droits que l’on réserve aux personnes malades.

L’esprit et l’âme

On peut souligner aussi que cette division entre psychoatypies et neuroatypies repose implicitement sur une distinction ancienne entre l’esprit et l’âme. Cette distinction perdure encore aujourd’hui dans les disciplines académiques et les thérapies. Il y a d’une part les neurologues, les neuropsychologues et les psychologues cognitivistes qui sont spécialisées dans la cognition et le (dys)fonctionnement cérébral. D’autre part, les psychologues et les psychiatres qui sont spécialisés dans l’ « âme ».

Cette division des tâches n’est pas totalement dénuée de fondements. Comme présenté plus haut, certaines atypies s’accompagnent de particularités, lésions, fonctionnements, développement cérébraux… clairement identifiables. On sait par exemple depuis longtemps que les symptômes de la maladie de Parkinson sont causés par la dégénérescence de neurones dopaminergiques.

D’autres atypies au contraire semblent bien plus « psychologiques ». Elles se développent à partir d’évènements de vie difficiles et traumatisants et elles impliquent des schémas de pensée différents. Par exemple, beaucoup de « troubles de la personnalité » se développent suite à des carences d’attachement dans l’enfance. Les thérapeutes peuvent alors réaliser un travail avec la personne pour qu’elle modifie ses schémas de pensée.

Cependant, opposer aussi distinctement esprit et âme a aussi des aspects très problématiques.

Tout d’abord, parce que l’on a tendance classiquement à penser que la neurologie concerne uniquement les aptitudes cognitives (mémoire, raisonnement, attention…) tandis que la psychologie concerne uniquement les émotions. D’où le fait que les neuroatypiques seront davantage considérés comme « handicapés » et les psychoatypiques comme « fous ». Les exemples ci-dessous montre que cela n’a rien de si évident.

Certaines particularités cérébrales liées à la schizophrénie sont nettement identifiées. Mais les personnes schizophrènes relèvent encore de la psychiatrie, parce que les symptômes les plus visibles de la schizophrénie (hallucinations, délires…) sont vues comme des « perturbations de l’âme », un signe de « folie ».

Les personnes TDA/H (trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité) sont perçues avant tout comme ayant un fonctionnement cognitif altéré (au niveau de l’attention, la mémoire de travail, les fonctions exécutives…). Pourtant, le TDA/H induit aussi des particularités émotionnelles et psychologiques (hypersensibilités, difficulté dans la régulation des émotions, dans la gestion de la frustration, anxiété, tendance aux addictions…). De plus, beaucoup de personnes qui ont des atypies « psychologiques » comme le trouble oppositionnel avec provocation, des addictions, des troubles anxieux, le trouble borderline, la bipolarité…  Sont des personnes qui présentent depuis leur enfance un TDA/H. Cette donnée n’est souvent pas vérifiée car on ne pense pas forcément qu’un fonctionnement « cognitif » puisse faciliter le développement de telles particularités « psychologiques ».

Certaines personnes qui développent des « troubles psy » ont des neuroatypies innées non diagnostiquées (autisme, HPI, TDAH…). Les thérapies risquent d’échouer pour ces personnes, puisqu’elles ne sont efficaces et pertinentes que pour les neurotypiques. Par exemple, supposons qu’une personne autiste veuille suivre une thérapie pour l’anxiété sociale. Le thérapeute va lui expliquer que sa peur des autres est infondée et l’accompagner pour qu’elle aille petit à petit vers les autres. Mais la peur de la personne autiste n’a rien d’infondé. Sa grande difficulté à socialiser comme les neurotypiques est remarquée par ceux-ci, qui y réagissent souvent par de l’exclusion et de la moquerie. Aller vers les autres est donc un conseil contreproductif pour une telle personne.

Tout fonctionnement cognitif peut avoir des conséquences psychologiques.

Tout fonctionnement psychologique implique le cerveau. Il n’y a pas de raison aujourd’hui de postuler l’existence d’une « âme ».

Pourquoi parler de neuroatypie plutôt que de troubles psy ou de pathologies ?

Historiquement, dans de nombreuses cultures on a séparé ce qui relevait du corps et ce qui relevait de l’âme. Pour cette raison, beaucoup de personnes neuroatypiques ne sont pas prises au sérieux quand elles évoquent leur maladie parce que « c’est dans la tête ». On peut aussi souligner que traiter quelqu’un de « malade mental », est un terme très stigmatisant. [A noter que les personnes handicapées physiques sont également rabaissées et discriminées dans notre société]

La maladie psy serait-elle alors différente de la maladie somatique ?

C’est une question complexe qui nécessiterait déjà de bien définir ce qu’est une « maladie ».  Au sens courant, il s’agit d’une altération de la santé qui généralement cause une souffrance ou un risque pour la santé dans le présent ou le futur. En effet, aucune personne ne va consulter son médecin si elle n’est pas en souffrance ou si elle ne craint pas une dégradation de son bien-être ou de son pronostic vital futur. La maladie a donc une valence négative, elle fait référence à un état de santé moins bon que la norme.

Le terme de « maladie », « pathologie » peut avoir aussi un sens statistique et désigner un écart important à la moyenne, sans que cela soit accompagné d’une valence négative. Dans ce sens là par exemple, une personne dont la taille serait supérieure à 2 mètres serait « malade » puisque très éloignée de la norme. Cependant, il est très rare que l’on utilise ce terme dans le second sens.

Les neuroatypiques ont tous un fonctionnement différent de la norme. Pour autant, rien ne permet d’affirmer a priori que tout fonctionnement hors norme est « pathologique » au sens courant. Ce peut être effectivement approprié quand la personne ressent une souffrance importante ou qu’elle a des actes qui nuisent à elle-même ou autrui. Et même ce dernier constat est à nuancer : une personne peut avoir des actes nuisibles ou souffrir, non pas en raison d’un dysfonctionnement intrinsèque, mais parce qu’elle vit dans une société ne s’adaptant pas à ses spécificités.

Il ne s’agit pas de tomber dans le relativisme, mais simplement de souligner que :

a) Toute différence n’est pas pathologie, au sens souffrance.

b) Un comportement peut être très nuisible et malsain. Mais considérer un fonctionnement cognitif comme nuisible  en soi a rarement du sens. Il n’y a jamais une équivalence à 100% entre un type de fonctionnement cognitif et un comportement. Savoir qu’une personne est schizophrène ne me permet pas de prédire avec exactitude son comportement futur, tout juste de faire des probabilités sur celui-ci.

c) Une maladie, un trouble… n’est pas que souffrance mais aussi changement, réorganisation. Certaines régions du cerveau peuvent être altérées ou hypofonctionnelles, des connexions entre régions peuvent être perdues… Mais du fait de la plasticité cérébrale, il y a aussi une réorganisation du cerveau, de nouvelles connexions qui se créent, de nouvelles régions qui prennent le relai… en particulier si la personne est née ainsi. Ne considérer la maladie que sous l’angle du « déficit », c’est en avoir une vision très étroite.

Un nombre important de neuroatypiques ne se considèrent pas comme malades. Un nombre important se considèrent comme tel mais souffrent de la méconnaissance, de la vision archaïque et de la stigmatisation des « malades mentaux ».

Dans ce contexte, utiliser le terme de « neuroatypie » peut être utile,  parce que ce terme est plus englobant et moins stigmatisant.

La neuroatypie est-elle synonyme de handicap ?

Selon la définition donnée par la loi française du 11 février 2005 portant sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées constitue « un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

Comme maladie, le mot « handicap » est lui aussi polysémique. Dans la définition ci-dessus, une relation de cause à effet est faite entre une « altération » et une « restriction d’activité ». L’altération désigne un changement négatif, une dégradation de la santé (donc une pathologie, au sens classique).

D’autres visions mettent au contraire l’accent sur la dimension sociale du handicap. Dans ce sens-là, est handicapé celui qui connaît une restriction de vie à la société en raison d’une différence à la norme et d’une absence d’adaptation de la société à cette différence. Avec cette définition, on retombe sur le concept très large de neuroatypie puisque toute différence importante pour laquelle aucune adaptation n’est prévue engendre un handicap. La notion de handicap permet de plus de souligner le rapport de pouvoir asymétrique entre personnes handicapées et personnes valides.

On parle de « validisme » pour désigner les discriminations, violences, préjugés… envers les handicapés. Le validisme suppose de classer les personnes sur des échelles de valeur en fonction de leurs capacités, en accordant plus de valeur sociale et de droits aux personnes ayant davantage de capacités. Selon cette logique, il est légitime d’enfermer et d’exclure des personnes malades, moins productives, moins fortes et/ou moins intelligentes que la norme (selon une définition  restrictive de ce que signifie être fort, être intelligent…).

Psychophobie et validisme

La psychophobie est une forme de validisme portant sur le handicap psychique/cognitif. C’est notamment le fait de considérer comme « inférieures » les personnes ayant ce type de handicap, de trouver légitime de les traiter moins bien ou de leur accorder moins de droits.

La psychophobie peut porter sur des personnes ayant des atypies diagnostiquées (schizophrénie, autisme…) mais aussi sur des comportements.

Par exemple, certaines formes de socialisation seront préférées à d’autres. Ainsi, socialiser en face à face, en respectant les conventions sociales, avec la « bonne » gestuelle, les « bonnes » conventions » et la « bonne » proximité à l’autre est jugé préférable à une socialisation sur les chats et les réseaux sociaux.

La psychophobie repose sur l’idée qu’il y aurait un idéal de comportement à adopter, en particulier lorsque l’on se trouve en société. Cet idéal n’a souvent pas grand chose de réfléchi et correspond simplement à ce qui convient au mieux pour une majorité de personnes. Les neuroatypiques, qui ont quant à eux un fonctionnement hors norme, trouveront bien difficile d’adopter ce type de comportement. Soit parce qu’ils en sont incapables, soit parce que cela leur est émotionnellement douloureux, ou leur paraît absurde. Les neuroatypiques sont donc ceux qui subissent le plus de psychophobie, même si les neurotypiques peuvent eux-mêmes souffrir du degré de normativité de la société.

Le validisme est intimement lié au capitalisme et au libéralisme. Dans un système capitaliste, la « valeur travail » et la productivité sont essentiels au fonctionnement du système. Les personnes moins productives ou incapables de travaillées seront donc considérés comme ayant moins de valeur.

Dans un système libéral, l’accent est mis sur la responsabilité individuelle et sur la capacité à « se vendre » sur le marché (pour obtenir un emploi par exemple), ce qui suppose de correspondre à certaines normes sociales de comportement (présentation de soi, mode de vie, socialisation…). L’existence de personnes perçues comme « folles » remet en cause l’idée de responsabilité individuelle et de rationalité commune, des mythes  au fondement des sociétés libérales et « méritocratiques ». Les personnes neuroatypiques peinent souvent à savoir quels comportements adopter en société ou à les adopter d’une façon suffisamment convaincante. Pour cette raison, leur présence est difficilement tolérée par le reste de la société. La séparation, simple et binaire, entre les « normaux » et les « fous », la déshumanisation et la culpabilisation de ces derniers, permet d’apaiser l’inquiétude ressentie par la personne lambda, de la rassurer sur le fait que la « folie » est une question de volonté ou de faiblesse individuelle.