Avec un handicap, quelles difficultés quand on veut s’engager ?

Vu sur les Ourses à plumes

Les personnes en situation de handicap se heurtent souvent à des barrières sociales et environnementales, lorsqu’elles souhaitent avoir un engagement militant. Témoignages de battant·e·s.

La sursollicitation du monde militant est un frein pour l’engagement des personnes en situation de handicap. © Cristian Newman on Unsplash

« Les pratiques militantes ne sont pas du tout pensées pour être adaptées à tou·te·s : inaccessibilité des locaux, mais aussi les formats traditionnels comme les manifs ou les actions coups de poings qui peuvent demander une certaine forme physique, ou encore la non-traduction en langue des signes des meetings », explique Charlotte, qui circule en fauteuil roulant.

Des modes d’action inaccessibles

La manifestation est l’action phare du monde militant, mais exclut. « J’évite au maximum les défilés, car j’ai peur de me faire bousculer », témoigne Laëtitia, 24 ans, atteinte d’une maladie neuro-musculaire. Même décision pour Léa, autiste : « si je vais à une manifestation, c’est au détriment de ma santé. Il n’y a aucun endroit d’isolement, des bruits insupportables, des contacts physiques non désirés… ce qui provoque des crises d’angoisse ».

Pour Matthieu, créateur de la chaîne YouTube « Vivre avec », s’engager dans une organisation demande énormément d’énergie. « Tous les déplacements sont épuisants, et sur place il n’y a généralement pas d’endroit calme pour se reposer ».

« Je suis très sensible aux bruits, aux odeurs, à la chaleur, à l’agitation, aux émotions : les réunions-débats sont une épreuve de nerfs pour moi, qui généralement me mènent à l’effondrement », témoigne Léa, 27 ans. « Je prends davantage part à des activités dans des cadres plus institutionnels (colloques, journées d’études…) parce que c’est mieux organisé. On m’a souvent reproché d’avoir un engagement théorique… »

Un univers militant validiste

« Je voulais m’investir dans une association LGBT, mais on y entend beaucoup de réflexions validistes et de questions intrusives », soupire Matthieu. Rejoindre une organisation aux thématiques marquées à gauche n’est pas forcément un label de bienveillance. Charlotte a connu aussi quelques désillusions. « En rejoignant le
NPA (Nouveau parti anticapitaliste), j’espérais qu’illes ne renverraient pas le handicap dans la sphère individuelle, mais qu’illes prendraient conscience du système d’oppressions, de la responsabilité collective dans la construction du handicap. Cela n’a pas été le cas. »

« Le validisme est une violence systémique, le milieu militant n’en est pas exempt. La souffrance de ne pas être pris·e en compte, dans un contexte qui se veut théoriquement militant pour l’égalité, c’est ce décalage qui se ressent le plus péniblement », confie Spangle, atteint·e d’un syndrome de stress post-traumatique. Le militantisme a été pour iel plus accessible « dans les collectifs féministes très engagés, où je n’ai pas été confronté-e à des comportements sexistes ».

Pour Rafaelle, victime d’un AVC, les valides « sont (très) rarement prêt·e·s à faire des efforts. C’est donc souvent à la personne en situation de handicap que l’on demande de s’adapter ». Avis partagé par Léa : « la plus grosse barrière « ce sont les préjugés, les paroles, et la non-prise en compte de la différence ». « En tant qu’autiste, je n’ai pas beaucoup d’habilités sociales, c’est complexe de s’investir, car prendre la parole est un acte militant indispensable. Je passe parfois pour une asociable ou impolie, on m’a déjà reproché de ne pas être assez active », témoigne Emilie, 25 ans, qui a déjà été bénévole dans plus d’une dizaine d’organisations. « La fatigabilité et l’hypersensibilité sensorielle » peuvent aussi être incomprises. « Les pétards en manif », ou encore « un surmenage militant », ont des conséquences sur la santé d’Emilie.

Le rythme de l’engagement est calé sur celui des personnes valides. « Si on est très fatigable, et que notre temps de repos n’est pas du loisir négociable, les autres ont l’impression que l’on ne prend pas l’engagement au sérieux. Mon absentéisme à des réunions a été pris pour un manque de volonté et de l’égoïsme, j’ai été rayée de l’équipe », raconte Léa. « Il est certain que pour les personnes en situation de handicap, la fatigue est généralement plus présente, si les réunions étaient plus tôt, ce serait peut-être aussi plus simple », souligne Rafaelle, qui a quitté le syndicat étudiant dont elle était membre.

Plus facile dans une orga liée au handicap ?

Face au manque de compréhension et d’adaptabilité, certaines personnes préfèrent s’engager dans des organisations liées au handicap. « Fréquenter une association pour rencontrer d’autres jeunes autistes, m’a fait du bien. C’est épanouissant d’être dans un environnement où nos silences ne sont pas un problème », a constaté Emilie. Elle s’investit également dans un collectif féministe non-mixte et une association de jeunes de milieu populaire. « Je peux m’y exprimer plus facilement que dans des organisations où il y a une majorité d’hommes cis, valides et neurotypiques, d’un milieu social privilégié ».

Laëtitia est, elle, devenue responsable d’un groupe sur sa maladie génétique. « Avec notre vécu, on a une voix à porter, il faut avoir confiance en soi. Ce qui reste compliqué, c’est de s’organiser. Avec un travail et des rendez-vous médicaux très fréquents, c’est très contraignant. »

Avant d’être amputée, Nadine Chesnais militait à LO (Lutte ouvrière) et au SNES (Syndicat national des enseignements de second degré). « Il y avait beaucoup d’activités debout, il a fallu que je trouve d’autres engagements. » Elle se rend à une réunion de l’APF (Association des Paralysés de France), mais réalise que « ce n’était pas politisé et infantilisant car les activités étaient dirigées par des valides ». C’est finalement à l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, que Nadine, 64 ans, devient bénévole. « Nous sommes toutes en situation de handicap et libres de nos actions », apprécie-t-elle.

Charlotte, elle, ne veut pas se focaliser sur un engagement lié au handicap seulement. « L’oppression rencontrée par les personnes handicapées ne peut se détacher d’une lutte politique anticapitaliste, qui défend tou·te·s les opprimé·e·s, et qui s’inscrit au croisement de toutes les luttes sociales. Dans les orgas qui s’occupent de la question du handicap, c’est souvent plus de l’associatif où l’aspect politique est bien atténué et où il n’y a pas de remise en question profonde de la société », regrette-t-elle.

Quelles solutions ?

Pour pouvoir s’exprimer, Emilie apprécie « les petits groupes, un environnement safe où on s’écoute », mais aussi « la possibilité de poser ses questions par écrit ». De la même manière, Léa aimerait que « la prise de décision et les discussions aient un format adapté ». Pour elle, « l’accessibilité, c’est aussi : rendre les idées, les informations et la participation accessibles à tou.te.s. Je n’irai jamais à un rassemblement sans avoir davantage d’informations d’abord, je prépare toutes mes sorties et essaye de prévoir les imprévus, c’est inhérent à mon fonctionnement autistique ».

À savoir : Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir a travaillé avec le Centre Hubertine Auclert pour produire un guide pour l’accueil et la participation des personnes handicapées à la vie associative. Il est disponible gratuitement en ligne, sur le site Internet du Centre.

Pour Charlotte, « il faut repenser les outils du militantisme et l’accès à l’espace public. Le développement du militantisme via les réseaux sociaux et Internet permet à plus de personnes handicapées d’avoir une activité militante ». Comme l’illustrent Léa avec son blog Pourquoi pas autrement, ou Matthieu qui a acquis une belle audience avec sa chaîne YouTube, bien plus efficace que des tracts distribués à la sortie du métro. Et si écouter les personnes en situation de handicap révolutionnait nos modes d’engagement ?

Cet article a été publié dans le premier numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2018. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.