Article publié sur L’écho des sorcières (Malheureusement, le site ne semble fonctionner que par intermittence en ce moment)
J’ai envie d’écrire pour exprimer la douleur que je ressens mais tout se mélange dans ma tête. Je suis malade mentale. Je ne sais pas ce que j’ai. Je suis anxieuse, sûrement un peu dépressive, sûrement d’autres choses. Je souffre de ma maladie, mais aussi de la façon dont elle est appréhendée par les gens. On dirait que les gens qui m’aiment veulent me rassurer en me disant que je suis normale, qu’en fait tout le monde ressent ça parfois, que c’est normal à mon âge d’être mal et que ça va passer. Bien sûr, ça ne me rassure pas, mais surtout, c’est faux.
Il est faux que tout le monde est mal à l’aise/timide en société. Oui bien sûr peut-être que des fois tu te sens mal à l’aise, mais est-ce que tu sais ce que c’est d’être tétanisée, d’avoir une boule dans l’estomac, de ne pas pouvoir regarder les gens dans les yeux, de te repasser en boucle que personne ne va s’intéresser à toi et que tu n’as rien à dire, dans chaque situation sociale ?
Il est faux qu’il est difficile pour tout le monde de se faire des ami-e-s. Oui bien sûr tu n’as qu’une petite poignée de vrai-e-s ami-e-s, comme moi. Mais est-ce que tu sais ce que c’est d’être complètement seule, tellement seule que tu as recours à des ami-e-s imaginaires, est-ce que tu sais ce que ça fait de vouloir sortir, faire des trucs, aller à des événements, mais y renoncer parce qu’il n’y a personne pour t’accompagner ou parce que tu n’as pas envie de déranger les rares personnes que tu sollicites toujours ?
Il est faux que tout le monde manque d’assurance. Bien sûr, tout le monde a des complexes, des moments où on se sent nul-le. Mais est-ce que tu sais ce que c’est de te sentir tellement nulle que tu n’adresses jamais la parole à quelqu’un la première, que tu n’oses pas solliciter les gens, même tes ami-e-s confirmé-e-s, parce que tu as peur qu’iels ne te repoussent pas uniquement par politesse ? Est-ce que tu sais ce que c’est d’avoir désespérément besoin de plus d’amour, plus de relations, tout en sachant que ça ne te rendra pas plus sûre de toi ?
Il est faux que c’est dur pour tout le monde et qu’il suffit de faire des efforts. Bien sûr qu’il faut se sortir un minimum pour rencontrer des gens, mais ce n’est pas juste une question de volonté. Pour toi, « se sortir » a peut-être l’air d’un truc contraignant et stressant que tu dois t’imposer pour te faire des ami-e-s. Pour moi, c’est quelque chose qu’il faut prévoir de nombreux jours à l’avance, en connaissant tous les paramètres de l’événement où je me rends (combien de personnes ? Quel est le programme ? À quelle heure ça finit ? Est-ce que ce sera alcoolisé ?), c’est un moment d’agonie si personne ne vient vers moi. C’est un truc que je n’ai pas la force de faire toutes les semaines, parce que je n’ai pas la force d’angoisser pendant plusieurs jours en pensant à la sortie à venir. Et puis surtout, c’est loin d’être une garantie de se faire des ami-e-s. Même si je sympathise avec quelqu’un, il y a de fortes chances que je n’ai simplement pas l’énergie de recontacter la personne, parce que je sais qu’une deuxième rencontre implique encore de faire des efforts pour trouver des sujets de conversations, se rendre aimable, tout en n’étant encore une fois pas sûre que j’aurai vraiment envie d’être amie avec cette personne en la connaissant mieux.
Il est faux que c’est juste l’âge et que ça va passer. Oui c’est vrai que j’ai 22 ans, je suis étudiante, mon futur est flou comme pour la plupart des gens de mon âge, et c’est stressant. Mais si c’est juste ça, pourquoi tous les gens de mon âge ne sont-ils pas en thérapie, ou à écrire ce genre d’article ? Je serais donc une des seules à être honnête sur mon ressenti ? Bien sûr que tout le monde angoisse, mais tout le monde n’a pas des insomnies, de l’eczéma, des douleurs musculaires dues à des contractions involontaires, des crises de pleurs, des crises d’apathie, des envies de tout démolir, des envies de se démolir…
Je ne suis pas normale. Peut-être que j’en ai l’air. Peut-être que je suis moins anormale que beaucoup d’autres gens. Mais je vais mal et me répéter comme un leitmotiv que c’est normal, que tout le monde est comme ça, ne va pas m’aider à aller mieux. Au contraire en fait, cela est plutôt culpabilisant car ça implique que je ne suis qu’une chouineuse qui se plaint alors que les autres sont pareils et ne font pas chier avec leur mal-être.
J’ai la rage contre les personnes qui sont à l’aise, qui ont des ami-e-s, qui se sentent bien. Vraiment. Je suis désolée, d’un côté je vous admire, mais de l’autre vous m’exaspérez, je ne supporte pas que le monde tourne autour de vous, que ma seule perspective soit de tendre à devenir comme vous. Je ne supporte pas qu’on puisse me dire que si machin ne s’intéresse pas à moi c’est parce que je ne lui en donne pas l’envie. Je ne supporte plus de me dire que c’est normal que je ne sois pas populaire, pas parce que je suis nulle dans l’absolu, mais parce que je suis complètement repliée sur moi. En fait ça revient au même, ça revient à me haïr dans tous les cas. Et je déteste qu’on puisse me dire qu’en tenant ce discours je ne fais que me complaire dans mes problèmes, que je ne devrais pas considérer ma condition comme une spécificité de mon caractère mais bien comme une maladie à éradiquer dès que possible. Ce n’est pas si simple que ça. La maladie fait partie de moi, elle fait partie de qui je suis. En fait je n’ai même pas la moindre idée de qui je serais si je n’étais pas malade, et peut-être serais-je une personne détestable. Bien sûr, je veux guérir. Mais la vérité c’est que je ne sais même pas ce que guérir signifie. Ce que je voudrais avant tout, c’est que les gens qui en ont la force fassent des efforts, plutôt que ça soit toujours à nous de les faire. Alors si vous vous en sentez capable, allez parler aux gens qui sont seuls, soyez aimables, patient-e-s, soyez clair-e-s sur vos intentions, ne les jugez pas trop vite.